Sur le front d'Orient en 1918

En décembre 1934, Roger Vercel reçoit le prix Goncourt pour son cinquième roman, le capitaine Conan, un livre de guerre qui met en scène des corps francs sur le front d’Orient en 1918, reprenant « le thème du héros et du soldat, l’opposition du guerrier et du militaire. »

Roger Vercel, est né au Mans. Il a fait ses études à l’université de Caen, vit et enseigne au Lycée à Dinan. Il collabore régulièrement à L’Ouest -Eclair, et publie, outre des romans, des contes qu’il envoie aux journaux parisiens.

Le 10 décembre 1934, le quotidien breton se félicite de son prix : « Roger Vercel, notre éminent collaborateur obtient le Prix Concourt 1934. Place Gaillon, à Paris, à deux pas des grands boulevards, une façade bleue pastel s’estompe dans la brume ; c’est celle du restaurant Drouant où, chaque année, le jury du Prix Goncourt tient avant un déjeuner, dont le menu traditionnel est devenu légendaire, ses assises littéraires. Sur la place calme, un peu plus de monde que d’habitude. Deux képis d’agents, quelques autos. Et, rangé le long du trottoir, le grand car de reportage radiophonique rouge et crème de L’Intransigeant. Devant le tambour d’entrée, deux chasseurs accueillent discrètement les arrivants. Par un escalier étroit ou par un ascenseur plus étroit encore, on gagne le premier étage où se trouve le salon dans lequel vont déjeuner les « Dix », et celui réservé à la presse. […] Midi vingt, midi vingt-deux. Et tout d’un coup, dans l’encadrement de la porte, M. Roland Dorgelés parait. On fait cercle autour de lui. De sa voix claire, il annonce : Messieurs, le Prix Goncourt a été décerné au premier tour à M. Roger Vercel, auteur du Capitaine Conan. »

« Je pars à l'instant pour Rennes où je vais aller dire à L'Ouest-Eclair combien je suis heureux du succès que reçoit mon héros, le capitaine Conan. Car, ne l'oubliez pas, il est Breton, lui aussi, et c'est à lui que doivent revenir les premiers lauriers que m'octroient les juges du Prix Goncourt. »

Roger Vercel situe son roman peu après l’armistice sur le front d’Orient, en Roumanie et en Bulgarie, qu’il connaît bien pour y avoir été envoyé en 1917. « D’abord lieutenant, puis capitaine, Conan est officier d’un corps franc, chargé d’opérations de nettoyage un peu rudes, mais nécessaires. » précise L’Européen dans son édition du 4 janvier 1935. « Ces corps francs se composaient de gaillards décidés, amoureux du combat et du meurtre, que la troupe qualifiait franchement de nettoyeurs de tranchées. Poignée d’hommes volontaires et choisis, promus aux besognes les plus dures, c’étaient les enfants terribles de la guerre qui en révélaient l’essentielle atrocité. Ils subissaient l’emprise de leur chef à l’ancienne mode, comme ces bandes d’autrefois qui couraient les routes et suivaient aveuglément leurs capitaines. Jouissant, entre les coups de mains, de repos assez prolongés, ils se livraient à toutes sortes de gymnastiques, afin de pouvoir accomplir à la perfection leur sanglante besogne. C’étaient les acrobates de l’armée, acrobates sans filets qui ne devaient leur salut qu’à leur audace même, leur allant et leur souplesse. Ils se payaient même le luxe d’inspirer aux autres une certaine crainte, assaisonnée d’une pointe de dégoût », ajoute Marianne dans son numéro du 24 octobre 1934.

Le roman « reprend le thème du héros et du soldat, l’opposition du guerrier et du militaire, ce dernier appliquant en temps de guerre la règle générale de vie qu’il suit en temps de paix, tandis que la fin des hostilités rejette le premier hors la loi en laissant sans emploi son ardeur combative et son mépris de la morale bourgeoise. […] Le lieutenant Norbert, nommé commissaire rapporteur au Conseil de guerre, doit connaître de certaines affaires qui mettent Conan indirectement en cause. Il y a notamment une irruption de gangsters dans une boîte de nuit de Bucarest où l’on retrouve la manière des nettoyeurs de Conan, et Conan de défendre ses hommes en vrai chef de bande. Mais il y a aussi la trahison d’un pauvre petit gosse de dix-huit ans, que la frousse a poussé à déserter. Alors que le lieutenant de Scève, qui incarne la stricte morale militaire accable le malheureux, Conan se donne un mal de chien pour aider la défense. Tel est en effet le caractère du guerrier : il n’en veut point aux froussards, parce qu’il a le sentiment d’appartenir à une élite, parce qu’il pense, au fond, que tout le monde n’est pas fait pour être brave », ajoute l’hebdomadaire.

Le chef des corps francs « se moque royalement des règlements et traiterait volontiers d’embusqué tout soldat qui ne risquait la mort que suivant les règles. Ses hommes sont pour lui sacrés, et il ne reculera devant aucun mensonge, aucun faux, aucune voie de fait, pour les tirer d’un mauvais pas. Son raisonnement, où entrent un orgueil immense et beaucoup de logique, revient à dire : Tant que vous avez eu besoin de nous, vous avez exalté les instincts de sang qui nous ont permis de faire ce que vous savez. Maintenant, qu’est-ce que vous voulez qu’on en f…asse, de ces instincts, maintenant que grâce à nous vous avez pu gagner la guerre ? 

« Le Capitaine Conan, c’est Duguesclin revenu de l'autre monde à titre temporaire et pour la durée de la guerre de 1914. »

Le Journal dans son édition du 11 décembre 1935, nous en apprend plus sur la genèse du roman. « L’an dernier, le 11 novembre, Je passai l’après-midi dans un bois au bord de la Rance. On apercevait le fleuve tout blanc à travers l’alignement des troncs noirs. Un bois humide, secoué par le vent, et tellement semblable à cette forêt du Danube où j’avais appris l’armistice que, brusquement, les souvenirs affluèrent en foule. Au premier rang de ces visages jusque-là pâlis et presque effacés, se profilait celui d’un petit lieutenant de chasseurs à la fois féroce et bon enfant, qu’il fallait empêcher, au sortir des dancings roumains, de se ruer sur les policiers de Bucarest et cela parce qu’il désirait s’entretenir les poings. Il souffrait dans la paix, comme un poisson au sec. Le souvenir de ses incartades m’amena tout naturellement à me demander si la guerre n’était point, pour certaines natures, un poison tenace, si certains de ceux qui l’avaient faite, et bien faite, ne rapportaient point dans la paix, ainsi qu’une hideuse blessure, la nostalgie du meurtre », explique l’auteur.

A la question « Mais, dites-moi, Conan a-t-il existé ? » Roger Vercel répond « Certainement ; c’était un terrible petit gaillard qu’il fallait saisir à deux à la sortie des dancings pour l’empêcher d’aller se battre avec les policiers de Bucarest D’ailleurs, dans ce récit, sont exacts, non seulement les faits, mais encore les détails. »

L’Ouest-Eclair quotidien publié entre 1898 et 1944.

Marinane hebdomadiare publié entre 1932 et 1940.

L’Europén hebdomadaire publié entre 1929 et 1940.

Le Journal quotidien publié entre 1892 et 1944.

L’Intransigeant quotidient publié entre 1880 et 1940.

SourcesRetronews, le site de presse de la BnF.

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