Pilote de guerre

Au régiment, Brindejonc des Moulinais ne chercha jamais à profiter de sa gloire et de ses honneurs. Sur sa capote de simple soldat, s’étalaient les plus rares récompenses, mais il fit les corvées comme ses camarades et dut même attendre des mois et des mois avant d’être admis à piloter à nouveau : beauté du règlement !

« Je voudrais me rendre utile, m’écrivait-il, maintenant que je sais manier le lingot et faire demi-tour. Je moisis dans le froid humide, la bronchite me guette, des couches superposées d’iode sont sans effet ; attends-toi à recevoir un faire-part un de ces jours. J’espère que tu n’en seras pas trop frappé, maintenant que tu es prévenu. »

D’une autre lettre :

« Je suis dégoûté à moitié de la vie : il y a progrès, le mois dernier je l’étais presque tout à fait. »

Il part pour Stenay à l’escarbille Do-22. Il devient aussitôt l’un de nos plus remarquables pilotes, par son endurance et son habileté. Au moment de la bataille de la Marne, il tient l’air presque toute la journée, accomplissant reconnaissances, bombardements, réglages. Il se propose pour toutes les missions. Rien ne l’arrête. Chaque jour, il rapporte des renseignements précieux. Dès qu’il a un moment de loisir, il s’isole et se plonge dans un ouvrage de mathématiques spéciales, ou écrit à sa famille à laquelle il livre des matches d’échecs par correspondance ou donne des recommandations pour ses ruches d’abeilles.

Jamais de repos pour le corps ou l’esprit. Il devient lieutenant, est cité deux fois à l’ordre de l’armée, mais il s’est trop dépensé. Une crise d’entérite très grave est la conséquence de ce surmenage. Il ne veut pas se faire porter malade, résiste jusqu’au-delà des limites. Un jour, il doit s’avouer vaincu. La mort dans l’âme, il se laisse évacuer. La maladie se venge de sa désinvolture. Elle est trop longue au gré de la victime qui n’a qu’un désir : retourner au front.

Il accepte d’être chef-pilote et, dès qu’il se croit rétabli, demande à reprendre sa place en escadrille, réclame Verdun où la bataille fait rage.

La tactique a changé. Il faut un entraînement spécial. Le 31 mai 1916, Marcel Brindejonc des Moulinais écrit à ses parents avec sa modestie, sa loyauté incomparables :

« Il y a dans notre coin plus d’avions que toute l’armée n’en comptait en août 1914. Au moins, on a l’air d’être en guerre. Il faut être bien plus prudent, je le sais, et je ne cherche pas à épater les gens, ce qui a coûté la vie à tant d’individus. La bataille en l’air s’organise : elle est comparable aux anciennes batailles à cheval, en plus vite et plus haut. Le niveau du courage est rudement plus élevé que de mon temps. Tout est changé, je ne suis plus au courant. Question de huit jours.

C’est une grande veine d’arriver à descendre un ennemi, ou bien une habitude que je n’ai pas encore, et une témérité presque folle qui n’a jamais été mon fait. Je n’aime pas entreprendre quelque chose de grave avec plus de chance de perdre que de gagner, et ici on perd la vie. C’est beaucoup, surtout quand on commence à y reprendre goût. »

Le héros se mésestimait. La preuve ?

« Ier août 1916. — J’ai abattu deux appareils ennemis dont un Fokker, le premier avec Maxime Lenoir. L’autre a été ridiculement surpris ce malin et tiré à bout portant. Aucun mérite. C’était assez loin de l’autre côté, alors il ne sera probablement pas homologué. C’est amusant comme tout, cette chasse, et je reste si prudent que je ne risque rien ou presque rien. J’ai mis longtemps à étudier la question, et maintenant ça marche. Il s’agit de profiter des fautes et des points faibles de l’ennemi, et aussi de bien tirer.

3 août 1916. — Ce matin, j’ai raté un avion et je suis furieux. Il était fort courageux et ce fut un beau combat. Il doit sûrement être criblé de balles, mais pas dans une partie essentielle. Moi, je n’ai rien reçu, selon mon habitude, car j’y tiens. C’est dommage de tuer des types braves, et c’est une vraie rigolade de crever la peau d’un couard qui se sauve du premier coup. »

Hélas ! le 18 août 1916, Brindejonc des Moulinais tomba au champ d’honneur à l’âge de vingt-quatre ans. Le regretté sous-lieutenant Marcel Viallet, as de guerre, qui assista au dernier vol, me donna ces précisions :

« Je reverrai toujours l’aile du petit monocoque de Brindejonc quitter l’appareil et celui-ci s’effondrer dans un mouvement de vrille vertigineux. J’essayai de suivre, le cœur serré, les phases de l’horrible chute, mais j’étais trop haut. Celui qui tombait, pauvre camarade, était bien haut, lui aussi, et j’imaginais le petit tas de toiles déchiquetées, des petits bouts de bois, le moteur entré en terre et lui broyé dans le choc épouvantable. » Je rejoignis tout de suite mon escadrille pour apprendre que notre grand Brindejonc venait de se tuer. »

Ainsi finit le magnifique Français, le grand Breton, honneur de l’aviation, dont les exploits multiples empliraient un livre que j’ai l’intention de lui consacrer.

Une dernière citation lui fut décernée : « Pilote hors pair, officier aussi brave que modeste, incarnant en lui toutes les qualités qui font le héros simple et accompli. »

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Jacques Mortane.

Texte paru en 1938 dans Jeunesse magazine, hebdomadaire pour les adolescents publié entre 1937 et 1939.

Source:  Retronews, le site de presse de la BnF.

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