L'arrivée à Shanghai dans les années 30

Les années 30 ont vu l’essor de la grande presse d’information. Les plus grands quotidiens, qui dépassaient largement le million d’exemplaires, étaient en permanence à la recherche de nouveauté pour satisfaire leur lectorat. C’était l’âge d’or du grand reportage, qui suscita l’engouement des lecteurs avides de dépaysement et d’aventure par procuration. L’Asie, et en particulier Shanghai, fut une destination privilégiée de ces globe-trotters.

Dans une enquête sur les armes de contrebande qui paraît en mai 1934 dans Le Journal, Maurice Dekobra, l’auteur de « Macao l’enfer du jeu » (1926), donne à ses lecteurs une définition imagée de la métropole asiatique.

–  « Pourriez-vous me définir Shanghai en quelques mots ? me demanda le prince Serge.

–  Alors c’est le produit mâtiné en Asie du gratte-ciel et de la pagode. »

Ces grands reporters arrivent généralement à Shanghai par bateau, et leurs premières impressions sont souvent un mélange de déception et d’étonnement. Ils sont surpris par la couleur de l’eau de l’estuaire du Yang-Tsé ; ils la qualifient de boueuse, souillée presque.

« Depuis vingt-quatre heures, le Pacifique a revêtu le ton d’ocre et l’aspect sirupeux de la Seine les jours d’inondation. Il charrie comme elle des détritus et des troncs d’arbres. Nous sommes dans l’estuaire du Yang-Tsé, qui, à des milles et milles au large, souille la mer d’un limon arraché aux flancs de l’Himalaya. »

« La rivière est épaisse et sale. Elle charrie des détritus immondes, de la boue et des jonques qui filent le long de son courant vers la mer de Chine en tournoyant dans de brusques remous d’où remonte une forte odeur de vase. De la boue ! … De la boue ! ... »

Très rapidement alors que le bateau se rapproche de son quai, apparaissent les buildings, qui s’élèvent au pied de l’estuaire. Les voyageurs découvrent alors un panorama totalement nouveau pour eux.

« Et voici Shanghaï, construite à l’image de ce premier temple, c’est-à-dire en ciment armé. Shanghaï étalant avec un orgueil de nouveau riche son collier de perles, son Bund, son alignement de grandes bâtisses. Cathay Hôtel, Hong Kong Bank, Shanghaï Club, Mansion House, parure d’un orient un peu grossier, mais d’une valeur en carats considérable. Shanghaï, la reine du Pacifique, plus impressionnante, de prime abord, que toutes les cités alignées sur le pourtour du plus vaste des océans ; capitale réelle de la plus populeuse des nations et réussissant ce tour de force d’être le cinquième port de l’univers, au long d’une crique la moins appropriée qui soit aux nécessités de la navigation moderne. »

Les voyageurs américains, pourtant habitués aux gratte-ciel des villes de la côte est, eux aussi sont stupéfaits, même s’ils essaient de le cacher.

–  « Well, fait un Américain qui braque son appareil à photos.

Puis avant d’appuyer sur le déclic, il examine encore une fois la ligne des buildings et le boulevard qui les borde comme un ruban, les bateaux endormis sur leurs ancres et, là-bas, au bout devant la concession française, les cuirassiers de toutes les nations dont les cheminées ne fument pas, immenses corps morts avec leurs canons enveloppés de capuchons comme des chevaux de course retraités. Il remonte le col de son pardessus, crache dans l’eau, puis, pris d’un doute :

  Est-ce Shanghai ?

  Yes, sir, dit le barman.

  Zut, alors ! répondit-il avec simplicité ».

Avec ce court texte, nous inaugurons une petite série sur le Shanghai des années 30 à travers la presse de l’époque, à l’occasion de la sortie du roman de Timothée Roux, Shanghai 1932, disponible dans toutes les librairies.

Source: Le petit journal, 7 mai 1934, Maurice Dekobra. Le petit journal 21 juillet 1935, RL. Paris Soir 17 mars 1933 – Jean Lasserre, via Retronews.

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