Août 1944, de l’hôtel de Ville à Notre Dame

Le 25 Août 1944, le gouverneur allemand von Choltitz remet au général Leclercq sa lettre de reddition. C’en est terminé de l’occupation allemande de la capitale française, entamée le 14 juin 1944 après l’étrange ou honteuse défaite, selon les points de vue.

“Nous sommes ici chez nous!”

En fin de journée, alors que les parisiens ont afflué dans les rues de Paris, le Général de Gaulle parvient à l’hôtel de ville noyé par des milliers de curieux enthousiastes, pour y prononcer le discours fondateur des années d’après-guerre.

Jamais dans ce discours il ne sera fait allusion aux alliés auxquels le Général n’a pas pardonné d’avoir organisé dans son dos le débarquement en Afrique du Nord en 1942, leur préférence pour Darlan et Giraud, et leur décision de ne pas avoir intégré des troupes françaises dans la gigantesque armada du débarquement. Ce discours n’était pas uniquement destiné aux français, auxquels il fallait rendre un peu de l’estime d’eux-mêmes qu’ils avaient perdus lors de ces années sombres de l’occupation. Il visait également les alliés, afin de leur démontrer sa légitimité et leur faire comprendre que lui vivant et au pouvoir, jamais la France ne se résoudrait à devenir un pays soumis. Ses dernières paroles, « de la France qui se bat, c’est-à-dire de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle » sont de ce point de vue sans ambiguïté.

« Ce n’est qu’une houle vivante, dans le soleil, sous le tricolore »

Le lendemain, il se rend à 15 heures sous l’arc de Triomphe, où il ranime sous les clameurs des dizaines de milliers de personnes venues assister à cet événement, la flamme du soldat inconnu tragiquement éteinte depuis 4 ans. Puis il descend à pied les Champs Elysées, précédés des blindés de la 2ème DB, entouré des généraux LeclercJuin et Koenig et des chefs de la résistance.

« Ah ! C’est la mer ! écrira plus tard De Gaulle. Une foule immense est massée de part et d’autre de la chaussée. Peut-être deux millions d’âmes. Les toits aussi sont noirs de monde. A toutes les fenêtres s’entassent des groupes compacts, pêle-mêle avec des drapeaux. Des grappes humaines sont accrochées à des échelles, des mâts, des réverbères. Si loin que porte ma vue, ce n’est qu’une houle vivante, dans le soleil, sous le tricolore. Je vais à pied. Ce n’est pas le jour de passer une revue où brillent les armes et sonnent les fanfares. Il s’agit, aujourd’hui, de rendre à lui-même, par le spectacle de sa joie et l’évidence de sa liberté, un peuple qui fut, hier, écrasé par la défaite et dispersé par la servitude. […] Il se passe, en ce moment, un de ces miracles de la conscience nationale, un de ces gestes de la France, qui parfois, au long des siècles, viennent illuminer notre Histoire ». Il a toutefois certainement conscience à ce moment du caractère éphémère de cette formidable unité nationale.

« Déployant la force de son bras, il disperse les superbes »

Il quitte la Place de la Concorde en voiture, pour ensuite se rendre à la Cathédrale Notre Dame, où bat le cœur chrétien de la France, et remercier avec les chefs de la France libre Dieu pour la libération de la capitale. Ils vont chanter ensemble Le Magnificat, « un des rares chants de la liturgie chrétienne qui mette debout le peuple dans un élan profond et sensible »

 

Le Puissant fit pour moi des merveilles ;

Saint est son nom !

Son amour s’étend d’âge en âge

sur ceux qui le craignent.

Déployant la force de son bras, il disperse les superbes.

Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles.

Il comble de biens les affamés,

renvoie les riches les mains vides.

Il pénètre dans la cathédrale sous les acclamations de la foule, alors qu’une fusillade éclate. Le bilan est très difficile à établir, des blessés sans doute, des morts peut être, des coups de feu ont d’ailleurs retentit dans Paris toute la journée.

Qui a tiré ? Personne ne le sait vraiment. On évoquera dans les journaux de l’époque des snipers à l’origine d’un possible attentat contre le général perpétué par des miliciens acculés et assoiffés de vengeance ou des groupes isolés de soldats allemands. Le Général de Gaulle et les hommes de la 2ème DB, n’ont pas été perturbés outre mesure par ces tirs et cet événement, qu’ils considèrent insignifiants.

« Des coups de feu ont jailli sur le parvis, dans la nef. Pourquoi ? Comment ? Ça s’est emballé. Près du chœur, de Gaulle m’a dit : Ils tirent en l’air, ces imbéciles ! tandis que M. Le Troquer, devant les fidèles couchés, constatait : On voit plus de derrières que de visages. », racontera plus tard Achille Peretti qui assurait ce jour-là la protection du général.

De Gaule parlera lui d’une « vulgaire tatarinade. Beaucoup de gens (FFI et autres) se promènent avec des armes. Tout échauffés par les combats des jours précédents, ils sont toujours prêts à tirer vers les toits. Le premier coup de feu déchaîne une pétarade effrénée »

A l’inverse, la propagande américaine utilisera les images de ces scènes de fusillades pour montrer Paris en proie à la plus grande confusion et présenter les autorités américaines comme les seules à être capables d’éviter que le pays ne sombre dans une nouvelle folie révolutionnaire. Pour les communistes, ces coups de feu accréditaient la thèse de la 5ème colonne et justifiaient les mesures d’épuration drastique à l’encontre des collaborateurs, ou prétendus tels, et le maintien des formations armées issues de la résistance.